Les organismes d’assurance complémentaire santé (France Assureurs, la Mutualité Française et le CTIP Centre Technique des Institutions de Prévoyance) ont constaté avec une certaine inquiétude que les prestations avaient dérapé sérieusement en 2023 et que la tendance 2024 était également très défavorable.

Ils ont publié plusieurs alertes en ce sens (et ici), ce qui n’est pas passé inaperçu du côté de la CNAM (Caisse Nationale d’Assurance Maladie) et du Ministère de la santé.

Pour un œil extérieur, il semblerait que les complémentaires reprochent à la sécurité sociale de se désengager et celle-ci s’en défend. Cela peut sembler paradoxal puisqu’on pourrait imaginer que ces organismes complémentaires seraient satisfaits d’avoir une responsabilité accrue dans l’assurance santé.

En fait, l’explication de cette apparente contradiction est en réalité plus profonde.

L’assurance santé obligatoire est, par essence, une assurance pour un parcours de santé « dirigé », c’est-à-dire où le patient est orienté vers des solutions standardisées. Par exemple, s’il a le choix de son médecin traitant, il est ensuite fortement incité à le consulter en priorité systématiquement (parcours responsable).

L’assurance complémentaire est, elle, une assurance de choix, puisque vous pouvez choisir des produits garantissant mieux vos habitudes de soin. Elle est également une assurance plus personnalisée puisqu’elle nécessite un conseil et des traitements plus spécifiques. Cela en fait donc, par nature, une assurance plus onéreuse.

Et le fond du sujet est donc là : la standardisation imposée d’un certain nombre de garanties (100% santé, contrats responsables) rend les complémentaires santé moins légitimes sur ces garanties puisqu’une partie des parcours est « fortement incitée ». De plus, les transferts de charge et le renchérissement général des tarifs risquent de rendre les complémentaires santé impopulaires et pourraient préparer le terrain au retour du projet de « grande sécu » qui rebasculerait toute une partie de l’activité de remboursement des complémentaires vers le régime obligatoire.

C’est réellement cette perspective qui rend les complémentaires santé nerveuses de voir leurs tarifs déraper.

Par ailleurs, rappelons que la « Grande sécu » serait un cadeau empoisonné pour le régime obligatoire. En effet, du fait de sa standardisation et du peu de personnalisation, elle est moins bien équipée que les complémentaires santé pour identifier efficacement les abus du système (« (…) mieux lutter contre les gaspillages, les abus et la fraude (…) » cité dans la lettre ouverte indiquée plus haut). Elle risque donc fortement de se retrouver devant un problème accru de financement, ce qui serait l’inverse du but recherché de ce projet.

Or justement, tout indique que l’augmentation des frais de santé et surtout un système de remboursement insuffisamment regardant, ont fini par attirer le crime organisé qui s’est grandement perfectionné dans ce domaine. Tous les acteurs ont constaté une explosion de la fraude récemment, et notamment en 2023.

C’est pour cela qu’il est indispensable que les pouvoirs publics et les organismes de complémentaire santé puissent coopérer de façon beaucoup plus étroite sur ces sujets. Un exemple, parmi d’autres, serait le déconventionnement et la poursuite judiciaire beaucoup plus actifs des professionnels de santé indélicats.

C’est seulement de cette manière que le pays pourra optimiser son système mixte qui, après tout, a rendu bien des services.